Ah ! ces processions de la Fête-Dieu il y a cinquante ans ! En Normandie, où j’ai vécu de longues années,  les commerçants traçaient sur la route, à l’aide de pochoirs, des dessins extraordinaires avec de la sciure colorée. Merveilles éphémères, gratuité esthétique destinée à honorer la gratuité de la présence eucharistique.

Les ombres d’une sécularisation envahissante et d’une laïcité grincheuse ont envoyé aux archives ces fastes naïfs et pourtant émouvants. Alors que l’on chantait que « Jésus se cachait dans l’humble hostie » on faisait justement ce que l’on ne voulait pas : qu’Il se cache. Pour certains, ce retour à la discrétion semble plus conforme au Mystère présent dans le sacrement du Corps et du Sang du Christ. Devant ce désir d’une exposition ostentatoire, enracinée dans la nostalgie d’une société institutionnellement chrétienne, Jacques MARITAIN, ce grand théologien laïc, rappelait qu’il fallait faire apparaître une société « existentiellement » chrétienne et non « institutionnellement » chrétienne. « L’essentiel est invisible pour les yeux, il ne se voit qu’avec le cœur » dit le renard dans « Le petit prince » de Saint Exupéry. Tel est bien le vœu du saint sacrement : nous conduire au Cœur du Christ livré sous les espèces d’un peu de pain azyme consacré, un Cœur transpercé par la fidélité à l’Amour du Père pour les hommes.

Les longs combats théologiques, livrés pour cerner le Mystère, aboutissent au silence d’une Présence cachée.

Les processions de jadis avaient une intention universaliste : mettre au cœur de la cité la Présence du Sauveur. Vœu accompli par un Charles de Foucauld, qui, dans son ermitage, passait de longues heures devant le Saint Sacrement pour y puiser la force d’être le frère universel auprès de Touaregs musulmans. Le sacrement du Corps et du Sang du Christ recèle la source d’une ouverture à tous qu’il nous est souvent difficile de vivre. Adoration et élan missionnaire sont mystérieusement connectés. Si elle doit se cacher dans les lieux de prière, l’adoration n’a qu’un but : nous envoyer sur les routes de l’Evangile.

                                                                                               Père Dominique RIBALET